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Avril 2024

16 avril 1975 : Henri Vincenot invité à Radioscopie par Jacques Chancel

    En ce mois d'avril 2024, nous vous proposons de (re)découvrir le premier et unique passage d'Henri Vincenot dans l'émission de Jacques Chancel, Radioscopie, diffusée sur France Inter le 16 avril 1975.

  Dans cet article, que nous envisageons comme une courte réflexion introductive sur les conséquences de cette émission pour Vincenot et son œuvre - et sa vie -, nous allons tenter de récapituler les principaux éléments contextuels qui entourent le déroulé de cet entretien, et d'en mettre en lumière les éléments qui méritent, sur un autre support, un approfondissement.

    C'est aussi, il faut bien l'avouer, un bon prétexte pour rappeler à ceux qui aiment Vincenot que son aisance oratoire, son goût pour le théâtre, et son rôle volontiers endossé de conteur furent très bien mis en valeur par Jacques Chancel. Alternant questions rapides et phases longues de développement, le patron de Radioscopie a le mérite d'avoir réussi à évoquer, en une heure à peine, une partie bien plus large de l'œuvre d'Henri Vincenot que cela ne fut fait dans aucune autre émission radiophonique ou télévisuelle.

     

    Du « Toit du Monde occidental » et du Haut Atlas aux prémices du chemin de fer, Jacques Chancel fait tour à tour déclamer du Bossuet à Vincenot, qu'il écoute également lui expliquer les subtilités poétiques d'une de ses phrases fétiches : « L'alezane encensait au mitan de la sommière », reprise, trois ans plus tard, dans La Billebaude, comme une ode à cette langue exclusive, et poétique, que représente la parler auxois dans l'esprit de Vincenot.

    Il vous appartient de (re)découvrir la suite de l'entretien, disponible, en temps normal, sur le site de l'INA, sur les postes Inathèque, si vous avez la chance d'en avoir un près de chez vous, ou partout ailleurs où il se trouverait, peut-être...

   Pour lors, plongeons dans le contexte qui entoure cet entretien : retour sur cette période charnière pour l'image médiatique d'Henri Vincenot, pour son parcours d'homme de lettres.

Henri Vincenot à Châteauneuf-en-Auxois

Photographie d'Henri Vincenot à Châteauneuf-en-Auxois. Fonds Vincenot, BPE de Dijon.

Henri Vincenot chez Jacques Chancel à Radioscopie : quand la Bourgogne passe du Duché au Royaume

 

    Si l'on associe très souvent Henri Vincenot à l'émission Apostrophes de Bernard Pivot, et ainsi, à sa télégénie, à la surprise qu'il a suscitée, encouragé par l'animateur, il ne nous faut pas oublier que l'aube de ce succès médiatique se déroule sans aucun recours à l'image. Lorsque Jacques Chancel invite Henri Vincenot dans son émission, le 16 avril 1975, à 17 heures en direct, il est extrêmement probable qu'il n'ait jamais vu l'écrivain.


    Nous savons, en revanche, qu'il l'a très certainement entendu, mais pas sur des ondes françaises. En effet l'histoire de Vincenot à la radio commence en Suisse - à l'exception de courts passages dans « La vie des lettres », sur France III Nationale, ancêtre de France culture, entre 1959 et 1961[1]. C'est Gérard Gautier, alors en Suisse comme représentant à l'international pour Gallimard - dont Denoël, éditeur de Vincenot, est une filiale depuis 1951[2] - qui prend l'initiative de cette tournée médiatique, marquée notamment par une émission francophone, radiodiffusée sur ce qui est encore la Radio suisse romande : 

    Je le priai, alors que personne ne parlait de son livre [Le Pape des escargots], de m'accompagner en Suisse à la rentrée de septembre pour faire une émission de radio et une série d'interviews avec des journalistes de la presse écrite. [...] Gérard Valbert[3] avait invité Vincenot à la Radio suisse romande et les auditeurs qui entendirent cet accent si typique de nos régions furent séduits[4].

   Claudine Vincenot précise que, suite à cette émission, « les ventes démarrent allègrement en Suisse[5] », mais pas en France. Elle note cependant que l'écrivain, fort de cette expérience réussie, s'ouvre à Albert Blanchard, alors directeur commercial chez Denoël, de son désir de « faire quelque chose[6] » du Pape des escargots, paru en 1972, et centre de l'entretien helvétique.

     Malgré les articles élogieux qui suivent, Albert Blanchard laisse finalement Vincenot écrire La Vie quotidienne dans les chemins de fer au XIXe pour Hachette. En 1975 l'ouvrage paraît. C'est la première fois qu'Henri Vincenot publie ailleurs que chez Denoël ; c'est aussi le début d'une notoriété qui, de régionale, devient nationale.

     Hasard du calendrier : c'est en juin 1975 que paraît Le Cheval d'orgueil, de Pierre-Jakez Hélias, chez Plon. Ouvrage consacré aux mémoires du Finistère du début du XXe siècle, Le Cheval d'orgueil, est parfois perçu comme un précurseur breton de La Billebaude d'Henri Vincenot. Récits d'enfance, usage de parlers locaux et dimension régionale des récits sont autant de points communs qui rapprochent ces deux œuvres, sans que jamais mention soit faite de ce qui les différencie fondamentalement : par exemple, la motivation, qui semble plus nettement autobiographique chez l'écrivain breton, est bien plus ambiguë chez Vincenot [7].

       L'un des problèmes du rapprochement de ces deux romans réside dans cette année charnière de 1975 ; car, si Vincenot est invité à Radioscopie pour défendre La Vie quotidienne dans les chemins de fer au XIXe, il n'hésite pas, encouragé par Chancel, à évoquer avec beaucoup de cœur son Pape des escargots. L'ouvrage a déjà trois ans au moment de l'émission. Il a connu un succès local. À l'échelle de la Bourgogne, Vincenot est connu depuis longtemps - en partie grâce à ses activités de peintre et de dessinateur[8], qui l'ont notamment fait mentionner par les médias locaux pour ses expositions, ou son prix Chatrian par exemple (reçu en 1961 pour La Pie saoule). Naturellement revenu à ses passions bourguignonnes depuis sa retraite, en 1967 - passions qu'il n'a jamais oubliées, même dans ses œuvres qui semblent s'en éloigner - Vincenot, que son accent trahit désormais sur une émission diffusées par les ondes nationales, n'a pas grand effort à faire pour être perçu dès 1975, trois ans avant La Billebaude, comme l'auteur bourguignon par excellence. C'est le sort que Pierre-Jakez Hélias connaît vis-à-vis de la Bretagne, non sans contestation, dans le courant de cette même année.

    Plon, éditeur de l'écrivain breton, a totalement conscience de la réputation désormais nationale que Radioscopie confère peu à peu à Vincenot, reprise et amplifiée par les journalistes critiques. Forte du succès du Cheval d'orgueil, la maison d'édition courtise alors fortement Vincenot - qui, en 1976, a fait paraître La Vie quotidienne des paysans bourguignons au temps de Lamartine. Elle souhaite le débaucher afin qu'il écrive, à la manière bourguignonne, « ce que Hélias a fait pour la Bretagne[9] ». C'est pourquoi Gérard Gautier, qui travaille pour Denoël depuis…1975, convainc[10] Henri Vincenot d'écrire pour sa maison d'édition d'origine, et non pour Plon, ce qui devient, en 1978, La Billebaude, et l'immense succès que l'on connaît.

 

    L'heure que passe Henri Vincenot en compagnie de Jacques Chancel, le 16 avril 1975 à 17 heures, n'est donc pas seulement le temps d'une simple émission réussie et originale, singulière même. Souvent éclipsée par les six Apostrophes auxquels il participe - son image ayant finalement supplanté sa voix, le groupe ayant pris le pas sur sa singularité - l'heure d'Henri Vincenot à Radioscopie est l'une des heures les plus décisives de l'avant dernière partie du chemin qu'il parcourt en homme de lettres : celle du succès de ventes, de la reconnaissance institutionnelle, d'une forme de validation par les pairs[11].

      Mais ceci est une autre histoire.

Par Odin Georget

 

[1] Relevés effectués sur le poste « Inathèque » de la Bibliothèque Patrimoniale et d'étude de Dijon le 11 juillet 2023.

[2] A. Louise Staman, Assassinat d’un éditeur à la Libération, Paris, Éditions Édite, 2005, p. 312.

[3] Journaliste, critique et écrivain suisse alors responsable de la culture à la RSR.

[4] Gérard Gautier, « Un auteur, un éditeur », Actes de rencontres Henri Vincenot, Précy-sous-Thil, Éditions de l'Armançon, 1993, p. 121.

[5] Claudine Vincenot, Henri Vincenot La Vie toute crue, Paris, Anne Carrière, 2006, p. 605.

[6] Ibid.

[7] Nous renvoyons à l'épigraphe de La Billebaude, qui évoque des « personnages », un « témoignage » que l'on peut « tout aussi bien lire comme un roman ». Henri Vincenot, La Billebaude, Paris, Gallimard « Folio », 1982, p. 10.

[8] La présente affirmation, et les suivantes qui concernent le sujet précis de la presse écrite, sont basées sur la consultation des cotes Ms 4587 et Ms 4647 du « Fonds Vincenot », Bibliothèque patrimoniale et d'étude de Dijon.

[9] Claudine Vincenot, op. cit., p. 621.

[10] Ibid.

[11] Ces éléments sont évoqués en longueur et plus en détails aux chapitres 29, 30, 31 et 32 de Henri Vincenot La Vie toute crue, de Claudine Vincenot.

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