
Janvier 2024
L'extrait du mois : 112e anniversaire de la naissance d'Henri Vincenot
À l'occasion de ce mois de janvier, nous vous proposons de découvrir les circonstances de la naissance d'Henri Vincenot, romanesque déjà. Nous sommes alors le 2 janvier 1912, au 8 rue des Perrières, à Dijon.
Dans le texte que vous allez découvrir, Claudine Vincenot dépeint les instants qui suivent la naissance de son père. Le lecteur familier de Vincenot retrouve ainsi, penchés sur son berceau, Joseph, le Tremblot dans La Billebaude, Charles, père du narrateur des Mémoires d'un enfant du rail, et Marguerite, figure maternelle très fréquemement déclinée et distillée dans son œuvre.
Introduction à la vie de Vincenot autant qu'à son œuvre, ce passage indique les rapports qu'entretiennent les personnages des romans de Vincenot et leurs inspirateurs réels. Claudine Vincenot décrit également en creux les futurs tiraillements de l'écrivain.
Si Henri Vincenot partage des traits de caractère avec son grand-père, il suit les traces de son père et embrasse une carrière au P.L.M. puis à la S.N.C.F. Oscillant toute sa vie entre désir de liberté et de grands espaces, et la nécessité de poursuivre une carrière plus académique, Henri Vincenot, fidèle à lui-même, choisira de tout faire.
C'est comme si, le jour même de sa naissance, les deux pôles de son œuvre se dessinaient déjà.

Photographie d'Henri Vincenot à un an. Fonds Vincenot, BPE de Dijon.
Un naissance romanesque : extrait du Chapitre 1 « Entrée en scène », de La Vie toute crue de Claudine Vincenot, Paris, Anne Carrière, p. 23-24.
« "C'est un garçon, et de belle venue !" s'exclame la matrone.
Joseph est déjà dans l'encadrement de la porte pour juger de la vigueur du petit mâle. Charles, tout tremblant, et les larmes aux yeux, est bouleversé par cette manifestation charnelle de son amour pour sa jeune femme ; il n'ose pas prendre le pas sur son beau-père. Mais celui-ci a déjà "prévu" les choses :
"M'est avis qu'il faut le déclarer du 31 décembre !
- Mais, papa, on est le 2 janvier… il est… quelle heure, Charles ?" intervient Marguerite.
Charles tire sa montre de son gilet avec la lenteur nécessaire à toute opération de précision: "Deux heures trente et une… et nous sommes le 2 janvier."
Joseph éclate de rire, de son rire sarcastique bien connu dans les villages :
"Mon pauvre Charles, vous êtes un vrai fonctionnaire ! Mais si on le déclare de la fin de 1911, il va gagner une année pour la conscription ! Voyons, Charles, réfléchissez !"
Précisément, Charles réfléchit toujours beaucoup avant d'agir, par précaution et par pusillanimité. Mais aujourd'hui il ose s'insurger sans trop réfléchir :
"Mais, vous n'y pensez pas… C'est malhonnête… Et puis je ne vois pas ce que cela peut changer…"
Éclat de rire tonitruant de Joseph : compagnon-sellier de son état, représentant à Commarin des cycles Terrot, des machines Singer et, avant tout, braconnier par esthétisme, chasseur de race, pêcheur, apiculteur, dilettante toujours et frondeur en diable, Joseph sait, lui, qu'il est prudent de garder ses distances avec les institutions. Et, même si cela ne doit rien changer, eh bien, on aura "possédé" l'administration !
Marguerite a retrouvé son ardeur et sa verve :
"Écoute, papa, ça suffit. Charles va aller déclarer le petit. C'est son fils, tout de même !... Et il le déclarera du 2, là !" Le ton est sans réplique.
Valentine, tout entière dédiée au nouveau-né, supplie doucement son époux :
"Joseph... allons…"
Joseph baisse pavillon mais fait encore une tentative d'autorité :
"Comment allez-vous l'appeler ?
- Henri, n'est-ce pas, Charles ?
- Henri-Joseph, et je serai son parrain !" »
Claudine Vincenot, La Vie toute crue, Paris, Anne Carrière, p. 23-24.






