
Mars 2024
Eloge en forme d'hommage à Claudine Vincenot
« L'âme de Marie-Claudine navigue dans l'imprécis, juste assez pour ne jamais se perdre.
C'est nous qui nous perdons, avec notre sextant.
N'ayant pris aucun repère, elle est toujours à sa place. Elle navigue droit devant elle et découvre des Amériques à longueur de journée. Moi, depuis longtemps, je connais les finesses de la navigation, aussi je ne parcours qu'un océan absolument vide.
Pour elle, des îles merveilleuses sortent du sein des flots.
Je passe. L'eau les a submergées.
Elle revient. Elles sont de nouveau là. »
Henri Vincenot, Prélude à l'aventure, Paris, 2012, Anne Carrière, p. 124.
Nous souhaitons rendre un vibrant hommage à Claudine Vincenot, dont la disparition laisse, depuis le 17 mars dernier, un grand vide.
Fille d'Andrée et Henri Vincenot, elle fut à la fois mère, voyageuse, professeure, grand-mère, romancière, arrière-grand-mère, gardienne et continuatrice de l'œuvre de ses parents.
Pour son père Henri Vincenot, elle écrit Le Maître du bonheur (1995, chez Anne Carrière), courte biographie esquissée de souvenirs et de sensations, puis La Vie toute crue (2006, chez Anne Carrière), somme biographique se nourrissant de textes et documents inédits. Ces deux ouvrages forment un diptyque complet : anecdotes marquantes et citations précises s'y côtoient, et offrent un large aperçu de l'ensemble de l'œuvre d'Henri Vincenot. Dans Le Peintre du bonheur (2001, chez Anne Carrière), qu'elle signe avec son frère Denis, c'est la passion picturale, et sculpturale de Vincenot qui est soulignée, et illustrée. La réception de l'œuvre d'Henri Vincenot ne serait pas la même sans ces ouvrages.
Claudine Vincenot participe également à un travail plus collectif de perpétuation et d'approfondissement de la connaissance d'Henri Vincenot. Citons à ce titre Vincenot l'album (2012, aux Éditions de l'Armançon), dont elle écrit les textes, ouvrage exceptionnel par sa clarté et son esprit de synthèse, sans parler de ses nombreuses et évocatrices illustrations. Publié aux Éditions de l'Armançon (par ailleurs bourguignonnes) fondées en 1987 et dirigées par Gérard Gautier, ancien directeur commercial chez Denoël et ami très important pour le succès de l'écrivain, cet album, réalisé à l'occasion du centenaire de la naissance d'Henri Vincenot, est la face visible d'un travail souvent beaucoup plus discret. C'est en effet en 2012 que Claudine Vincenot fait don, à la Bibliothèque municipale de Dijon, de nombreux documents de natures diverses : lettres, manuscrits, partitions et dessins, qu'elle a lus, classés, et utilisés, constituent alors un « Fonds Vincenot » qui se distingue par son abondance et sa variété.
Dans cet esprit d'alchimie collective, elle participe aux « Rencontres Henri Vincenot », les 18 et 19 octobre 1992, à Dijon. Elle préface par exemple Le Chemin de fer vu par Henri Vincenot, de Gaby Bachet (2004, La Vie du rail), rédige les textes introductifs des rééditions thématiques des ouvrages de son père chez Omnibus (2001 pour Les Livres de la Bourgogne, et 2002 pour Les Livres du rail). Passionnée, comme son père, par le Maroc - où elle enseigne d'ailleurs au titre de la Coopération de 1969 à 1983 - elle écrit la préface de la réédition du Sang de l'Atlas (2002, chez Denoël). Elle mène ce rôle de préfacier jusqu'en 2022, date de la dernière réédition de La Billebaude (aux éditions Montbel).
À cela s'ajoute un travail de réédition mené de concert avec la maison Anne Carrière, de 1997 à 2003. Elle préface ainsi les rééditions des Yeux en face des trous (2000), À Rebrousse-poil (2001), Je fus un Saint (2002), Walther, ce Boche mon ami (2003). Elle se consacre également à l'édition première de textes inédits : Récits des friches et des bois (1997), Du Côté des Bordes (1998), et Toute la Terre est au Seigneur (2000), avant, en 2012, d'achever cette aventure avec les éditions Anne Carrière, par la parution de Prélude à l'aventure. Une nouvelle histoire éditoriale commence en 2019 avec Voyage au Maroc, et se poursuit en 2021 avec Voyage en pays celtes, deux ouvrages consacrés au aquarelles et aux gouaches de son père, parus tous deux à L'Atelier des Noyers.
Elle mène, en parallèle de cet abondant travail, et de sa vie familiale - auxquels il faut ajouter ses réponses aux sollicitations journalistiques, l'organisation ou la participation à de nombreuses expositions, un souci permanent de sauvegarde de tous les pans de l'œuvre de son père et, bien sûr, le tri et lecture des abondants documents qui y sont liés - un ouvrage de romancière. Elle publie son premier roman Confidences des deux rivages chez Anne Carrière, en 1999. Puis, pour les Éditions de l'Armançon, elle écrit Petites histoires douces amère, un recueil de nouvelles (2011) et Cœur de voyou, roman (2013), Colombe et Brutus, mœurs et caractères, roman (2015). Oh, mon beau Titus ! Tribulations et autres Cocasseries en terre des hommes, paru en 2017 chez le même éditeur, est son dernier roman.
Sans doute aidée dans son travail sur Henri Vincenot par sa double casquette de professeur de français et de chercheuse - elle soutient, en 1981, sa thèse sur Le thème de la profondeur et de l'origine dans l'œuvre en prose de Gérard de Nerval à l'Université de Bordeaux III (sous la direction de Claude-Gilbert Dubois), elle a ainsi assuré pendant près de quarante années, la pérennité de l'œuvre d'Henri Vincenot, et bien plus encore : sa défense et son illustration, menée jusqu'au bout de sa vie, et dans tous les domaines. Lisez, pour vous en convaincre son texte consacré au hameau de la Peurrie, épicentre de l'œuvre de son père : « Une réalité entre Arcadie et Utopie : le hameau de la Peurrie dans la vie et l’œuvre d' Henri Vincenot » (Actes des Rencontres Henri Vincenot, Précy-sous-Thil, Éditions de l'Armançon, 1993).
La Société Henri Vincenot et l'ensemble de ses amis rendent hommage à sa Présidente d'honneur, dont le soutien indéfectible, et la grande confiance et l'amitié accordés depuis un jour de l'automne 2021, ont été les ferments d'une nouvelle aventure. Tout ceux qui l'ont connue pourront témoigner de sa détermination, de sa curiosité mêlée de jovialité, de son immense générosité - sans laquelle il ne nous serait pas donné d'admirer des œuvres d'Henri Vincenot, notamment au Musée de la Vie bourguignonne (Dijon), ou à Paray-le-Monial.
Fidèle à l'esprit qui l'anima durant toutes ces années, la Société Henri Vincenot poursuivra le travail qu'elle a commencé.
Par Odin Georget